Entrevue avec Vaitiaré, de Pirae, Tahiti

 



Nous sommes vendredi, il est 11h00 et c'est une superbe journée qui s'annonce. Nathalie et moi attendons notre invitée Vaitiaré (un prénom courant à Tahiti), tout en sirotant un cocktail.  Nous nous trouvons à l'une des belles terrasses du Vieux-Québec, celle du restaurant... Le Tiaré Tahiti.

Vaitiaré arrive enfin —nous sommes impatientes—, tout sourire, portant une fleur de tiaré dans ses jolis cheveux noirs. Nous nous sommes reconnues à l'instant même où nous nous sommes aperçues, car nous portions toutes cette même fleur. Notre informatrice nous fait la bise, deux bisous comme à Tahiti. Les présentations suivent. Parce que nous nous sommes renseignées sur cette région du pacifique, nous avons un peu l'impression de connaître Vaitiaré. Mais les images véhiculées par les médias et le cinéma sont-elles justes? Sont-elles représentatives de ce coin de paradis?
Notre impression s'est en partie confirmée en discutant de manière informelle avec notre interlocutrice, qui est née à Pirae, non loin de Papeete (capitale de la Polynésie). Puis, l'entrevue proprement dite débute. Nous lui demandons d'abord qu'elle était la raison de sa venue au Québec.

Vaitiaré est venue étudier à l'Université Laval dans le cadre de ses études de Maîtrise (un programme d'échange avec l'Université de Polynésie française). Elle est arrivée en août 2011, en compagnie de plusieurs camarades tahitiens. Sa première impression fut positive: le Québec est une terre chaleureuse! Elle a apprécié l'amabilité des Québécois; elle a aimé se faire souhaiter «Bienvenue!» à son arrivée. «Il y a un peu de cette chaleur que l'on retrouve à Tahiti», ajoute Vaitiaré. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, notamment la France qu'elle a déjà visitée.
Premières surprises


Quand nous lui demandons ce qui l'a plus surprise ici chez les gens, notre interlocutrice nous regarde avec un sourire en coin et avec un regard complice. Prudemment, elle nous explique avoir noté qu'une très grande variété de personnes s'exprimaient bien, haut et fort. En revanche, elle a trouvé franchement étrange de voir autant de femmes avec les cheveux teints en mauve ou en rose. À Tahiti, les filles ont les cheveux longs, jamais teints, «car c'est comme interdit». Elle est épatée de voir une telle utilisation du corps; cette forme d'expressivité n'existe pas à Tahiti. 



Quant aux choses qui l'ont plutôt irritée au cours des premiers jours suivant son arrivée, Vaitiaré admet franchement avoir trouvé les personnes âgées  «sans gêne ici contrairement à Tahiti». Par exemple, dans une file d'attente, elle a observé que les personnes âgées passaient devant les plus jeunes, les tassant même en douceur, comme si elles avaient priorité en raison de leur âge avancé. Ce qui n'est pas le cas, selon Vaitiaré, dans sa culture d'origine. «À Tahiti, les gens âgés respectent tout autant les plus jeunes que le contraire». Et notre invitée d'enchaîner avec une description de la réalité familiale tahitienne: «(...) tu appartiens à la famille. Les maisons de vieux n'existent carrément pas. Les maisons appartiennent à tout le monde; on peut y entrer et y sortir comme bon nous semble, sans souci. Les personnes plus âgées vivent à la maison. Parfois, il y a trois générations qui peuvent vivre ensemble sans problème. Chez nous, tout ce qui concerne les liens familiaux, c'est sacré».



Choc culturel
En bonnes apprenties-sociologues, nous abordons dès lors la fameuse problématique du «choc culturel». Notre interlocutrice a-t-elle eu de la difficulté à développer des relations d'amitié avec des Québécois? Sans hésitation, elle nous répond par la négative, même si les Québécois ne sont pas toujours enclins, selon elle, à laisser les étrangers entrer facilement chez eux ou dans leur «bulle».

Vaitiaré a dû, par contre, accélérer son rythme de vie car à Tahiti on vit plus lentement. Elle dit s'être bien adaptée tout de même. Elle a également dû se faire à la nourriture. Au Québec, les fruits et les légumes sont en général moins frais que dans son pays, climat oblige. Là-bas, raconte-t-elle, elle pouvait le matin aller se chercher une mangue bien fraîche... Et le goût des fruits exotiques est tellement différent, «tellement plus vrai». Du reste, s'il y a bien une chose qui l'a carrément «choquée» (abasourdie), c'est la tarte au sucre! «Je ne pensais pas que ça pouvait exister! C'est bon, mais ça donne des formes! C'est vrai qu'à Tahiti, on peut manger très gras et très sucré, mais les tartes au sucre ça n'existe pas!».

Côté adaptation, notre informatrice n'a pas vécu les phases telles que conceptualisées par la théorie (la courbe en U). En effet, elle n'a pas d'abord vécu la lune de miel (avec la terre d'accueil) car la beauté des îles tahitiennes est, disons, assez difficile à battre. Par contre, elle n'a pas non plus vécu de période de dépression, de confrontation —comme quoi le Québec, c'est pas mal! Plus sérieusement, cela peut s'expliquer par le fait qu'il y a plusieurs de ses amis qui l'ont suivie jusqu'ici; elle ne s'est donc jamais sentie seule. Elle n'a ressenti ni le désir de s'isoler ni celui de retourner dans son pays. Bref, Vaitiaré n'a pas vraiment subi de choc culturel au Québec. Elle a plutôt senti une contrainte diffuse: son mode de vie devait changer au sens où elle a dû s'habituer au «rythme effréné» nord-américain.

Arrivant d'une contrée paradisiaque, du moins au chapitre du climat et de la beauté des paysages, Vaitiaré n'a pas d'entrée de jeu oublié son chez-soi. C'est souvent le patron comportemental quand une personne du sud visite ou émigre dans un pays nordique. Par contre, elle a bien vu qu'en adoptant nos façons de faire, vivre à la québécoise pouvait être stimulant. Reste à voir si, à son retour, elle ne subira pas un contrecoup culturel compte tenu des habitudes nord-américaines qu'elle aura prises ici (horaire fixe, aisance dans les relations avec les supérieurs hiérarchiques, etc.). 





Communication
À Tahiti, les gens accordent une très grande importance aux gens d'expérience, à la hiérarchie organisationnelle ou autre, bref, il y a un respect envers les «supérieurs». Vaitiaré admet qu'elle a conservé ce respect pour la hiérarchie, notamment envers ses professeurs de l'université. Paradoxalement —d'un point vue québécois—, c'est le tutoiement qui prédomine dans son coin de pays. Même que le vouvoiement utilisé par un caucasien serait considéré comme une insulte. C'est comme si «le Blanc se prenait pour le supérieur».

Les Tahitiens exploitent beaucoup le sens du toucher; il y a beaucoup de non-verbal dans leur communication. Vaitiaré a bien vu que les mimiques ne sont pas les mêmes au Québec, et parfois cela peut porter à confusion. Par exemple, un Tahitien fâché va regarder la personne en baissant le menton, «comme pour charger», alors qu'au Québec c'est tout le contraire: on lève le menton «pour un peu défier l'autre». Quant à ce qui concerne la langue parlée, notre invitée trouve les Québécois charmants lorsqu'ils parlent. Ils sont aimables. Seule chose qui la méduse: l'accent et les expressions! «Ce n'est pas vulgaire, mais c'est bizarre parce que cela a rapport avec l'Église».

Le temps file, mais tout en douceur. Les cocktails et le poisson cru à la tahitienne ont plu à Vaitiaré, qui nous dit avoir surtout apprécié notre intérêt pour elle et sa culture. Ces deux heures d'échange furent agréables et passèrent trop rapidement... comme un séjour dans les îles. Nous nous promettons de nous revoir. Nana!